En un instant, les deux gardes Elézens étaient sur le Raen. Ils lui saisirent les poignets sans ménagement et l’obligèrent à se mettre à genoux. La foule, curieuse et méfiante un instant plus tôt, se fendit en deux, certains reculèrent ou s’enfuirent effrayés, d’autres sortirent leurs armes et se joignirent aux gardes.
Dépité, Kyuuji ne réagit pas et se laissa faire. Il regardait, désespéré, partout dans l’espoir que quelqu’un lui explique ce qui se passait, mais personne ne s’intéressait à ses inquiétudes. Le chaos régnait désormais au sein du village. Les gens courraient en tout sens. Un nombre impressionnant d’hommes armés s’était rassemblé autour de lui et le menaçait ouvertement. Certains lui posaient des questions, mais il ne les entendait pas. Il n’entendait ni ne voyait plus rien.
Les pensées de Kyuuji lui semblèrent lointaines, son esprit s’embrumait de plus en plus. Il n’arrivait plus à suivre le cours des évènements. On le remit debout, toujours sous surveillance, et on le guida jusqu’à une tente. On lui passa des fers aux poignets et des chaînes le contraignirent à genoux. Puis le silence retomba, laissant enfin le Raen reprendre ses esprits.
Il était menotté et enchaîné à un anneau solidement ancré dans le sol. Les pans de la tente étaient couverts de tentures aux couleurs jaune et orange. En dehors d’une chaise, la tente était vide, austère et presque menaçante. Quelque chose dans l’esprit de Kyuuji lui hurlait à l’erreur et à la méprise, mais il n’arrivait pas à déterminer quoi.
Son cœur commençait à peine à se calmer, quand quelqu’un entra et le détailla d’un œil méfiant. Kyuuji se soumit à cet examen sans un mot, sentant sa panique revenir, et en profita pour observer le nouvel arrivant. Il s’agissait d’un Hyurgoth, solidement bâti, à la peau et aux cheveux sombres. Il portait un uniforme jaune, certainement militaire, un officier, et une épée à la hanche. L’homme recula jusqu’à la chaise et s’y assit en croisant les bras.
— Quel est ton nom, Ao ra ?
— Kyuuji Atagi.
— D’où viens-tu ?
— D’Othard.
L’officier fronça les sourcils. Visiblement cette réponse ne lui plaisait pas.
— Que fais-tu ici ?
Kyuuji détourna le regard, réfléchissant à ce qu’il devait dire. Il opta pour la vérité. De toute façon, il n’avait rien d’autre à répondre. Il leva les yeux vers le Hyurgoth et sourit tristement.
— Enfaite, je ne sais même pas où nous sommes.
L’officier plissa les yeux, méfiant et l’invita à poursuivre d’un signe de tête.
— Explique-toi.
Kyuuji s’assit sur ses talons et lui raconta tout ce qu’il savait. Son réveil quatre jours plus tôt, son amnésie totale, son périple dans cette forêt inconnue, ses rêves qui lui laissaient le goût de souvenirs, et son arrivée dans ce village. L’homme écouta attentivement son récit jusqu’à la fin.
— De ce que j’en sais, Othard est contrôlé par l’Empire de Garlemald. J’ai entendu dire que Doma s’était rebellée et que des réfugiés étaient arrivés récemment.
Le Raen ferma les yeux et tenta de se souvenir de quoi que se soit. Mais l’officier ne lui en laissa pas le temps.
— Nous sommes en guerre contre l’Empire depuis de nombreuses années et attendons son prochain mouvement avec appréhension. Tu comprendras qu’on se méfie toi. Si tes rêves sont bien des souvenirs, il se pourrait que tu ne sois pas un ennemi. Mais tu pourrais aussi bien être un espion.
Kyuuji fut soulagé de constaté l’intelligence et l’objectivité de l’officier. Il ne put qu’approuver la logique de ses remarques.
— En effet.
— Je dois informer mes supérieurs de la situation, ils me diront quoi faire de toi. En attendant, tu resteras sous bonne garde.
Le Raen hocha la tête.
— Je comprends.
L’officier se leva et s’avança. Il lui défit ses chaînes mais lui laissa les mains menottées.
— Bien. Pour la tranquillité de tous, je te conseille de rester dans cette tente. Je n’ai pas besoin de te dire ce qui arrivera si tu essaies de t’enfuir, j’imagine ?
D’un signe de tête, l’Ao ra désigna les gardes à l’extérieur.
— J’en ai une vague idée.
Avec un sourire que Kyuuji qualifia d’amer, le Hyurgoth recula vers l’entrée de la tente et sortit en adressant quelques mots aux gardes à l’extérieur. De nouveau seul, le Raen s’assit par terre et étendit ses jambes en maudissant le sort qui s’acharnait sur lui, tandis que les bruits du village, insouciants et anodins, montaient jusqu’à lui.