Chroniques du clan

Les livres, les rouleaux, les tablettes s’entassent sur des étagères fixées contre les murs de pierres.

La pièce est faiblement éclairée d’une douce lumière verte, éthérée, issue d’une unique lanterne suspendue. Directement aménagées dans la masse de la montagnes, les archives des Atagi recèlent d’une quantité surprenante d’ouvrages, pour un si petit clan. L’ancienneté de certains rouleaux ou tablettes révèle également un passé lointain, une longue histoire clanique.

S’approchant de la première étagère, il balaie du revers de la main la poussière d’une tablette pour y jeter un œil. La langue ancestrale. Il ne s’agit pas de la langue natale des Aoras, mais d’un dérivé qui est propre au clan, ayant suivi son évolution, afin de répondre à ses besoins d’écriture. Il laisse ses doigts courir sur la tablette, comme pour s’en imprégné avant de s’en détourner en soupirant. Il ne sait par où commencer. Les origines des Atagis sont quelques par ici, et donc les réponses à ses questions. D’un geste de la main, il invoque le vent qu’il maîtrise finement et balais la poussière de la pièce.

Les étiquettes de chaque étagère ainsi révélées indiquent un classement précis et rigoureux des archives. Souriant à la méthodologie de ses ancêtres, il s’approche de l’étagère portant les toutes premières archives du clan. Il soulève précautionneusement un rouleau ancien dont le titre le satisfait et, sans plus attendre, il se plonge dans la lecture. Debout dans cette pièce sans fenêtre, éclairé à la seule lueur fantomatique de la lanterne magique, les premiers mots se gravent dans sa tête.

L’Exode

Le Père et la Mère s’étaient adressés à ceux qui devaient suivre la Voie, leurs Voie. Tels étaient les premiers fondement du clan Atagi.

Azim et Naahma réunirent ceux qu’ils avaient choisi pour leur confier une tâche importante. Les ancêtres du clan, ainsi élus, quittèrent la tribu mère, dont le nom fut rapidement oublié, car déjà les premiers conflits éclatèrent.

Ceux qui n’avaient entendu l’appel du Père et de la Mère, ceux qui n’avaient pas été choisis, refusèrent de les croire, refusèrent de voir une partie de leur tribu s’en aller, et tentèrent de les retenir, par la force. Mais Azim avaient choisi des hommes et des femmes parmi les plus endurants, tandis que Naahma avaient désigné certains des plus fervents et leurs octroya quelques pouvoirs. Ainsi, les élus purent se défendre et se protéger afin de quitter la tribu.

Des années durant, le chemin que leur indiquaient Azim le jour et Naahma la nuit les mena loin des steppes, loin du désert, dans les montagnes qui n’avaient pas de nom. Avant même d’atteindre ces montagnes, après des années d’exode, les élus se nommèrent eux-mêmes comme une tribu, afin de marquer leur union dans le voyage et dans la foi. Zamdaaitg. C’était le nom du clan dans la langue ancestrale. Zamdaaitg. Littéralement « croire en la voie ». Porteuse d’espoir, de foi, d’union. Les Zamdaaitg étaient ainsi unis, forts, endurants, fervents.

La marche les guida enfin aux pieds des Montagnes, un sol qu’ils ne connaissaient pas, un monde qui leur était inconnu. Guidés par Azim et Naahma, ils n’avaient aucune crainte. Le chemin fut rude. Les jeunes soutenaient les anciens, les nouvelles générations remplacèrent les anciennes, les paroles divines résonnaient toujours, les guidant à travers les monts, les cols et les vallées. Les premiers à avoir reçu l’appel du Père et de la Mère quittèrent les terres pour les rejoindre tandis que les générations suivantes recevaient toujours le même appel, les menant toujours plus loin dans les montagnes, les mettant toujours à l’épreuve de la foi et de l’endurance.

La vallée

Bien des décennies après le départ de la tribu mère, les Zamdaaitg finirent par atteindre leur destination. Azim illumina de ses rayons une vallée logée au cœur d’une chaîne de montagnes tandis que Naahma la baignait dans son halo lunaire. De nouveau ils s’adressèrent aux Zamdaaitg. Ici se trouvait un enfant, un enfant divin, qu’ils devaient protéger, veiller et honorer comme s’il était l’enfant du couple divin lui-même.

Tous purent percevoir la présence de l’esprit, primitif mais pourtant jeune. Puissant mais pourtant affaiblit. L’esprit du Paon appela à l’aide et les Zamdaaitg répondirent à son appel, honorant ainsi leur devoir envers le Père et la Mère.

S’engageant dans la vallée, la tribu dut faire face à de nombreux danger, de nombreuses menaces, d’autres esprits malveillants s’en prenait à leur nouveau protéger. La faune et la flore locale étaient inhospitalières, agressives. Les Zamdaaitg durent lutter pour atteindre l’Esprit Paon. Mais lorsque ce fut fait, Azim et Naahma les bénirent. Naahma permit aux plus fervents de communiquer avec l’enfant divin afin de le comprendre et de lui apporter leur aide. Tandis que Azim renforça le corps des plus endurant afin d’assurer la protection de la tribu et de l’Esprit.

Une fois les ennemis de l’Enfant Paon vaincus, il prit l’ascendance sur la vallée. En quelques années elle devint un lieux paisible et abondant. Ses pouvoirs se renforcèrent, un lien profond se tissa entre les Zamdaaitg et lui. Il établit son domaine dans la vallée et s’y installa durablement, obligeant la tribu à la sédentarité pour le protéger. En échange, il leur offrit le pouvoir de Vent et un endroit à l’abri de tout où prospérer et s’installer. Il fit pousser les arbres pour qu’ils construisent des maisons. Il irrigua les terres de la vallée pour qu’ils puissent y cultiver des denrées. Il peupla les montagnes de loups qu’ils purent domestiquer. Enfin, il veilla à ce que la vallée reste inaccessible aux étrangers.

Ainsi les Zamdaaitg avaient cru en la Voie indiquée par le Père et la Mère, ainsi ils avaient terminé leur voyage, ainsi ils pouvaient désormais remplir leur devoir. Zamdaaitg, croire en la voie, était le symbole qui unifiait la tribu. Les forts devinrent les chasseurs, les protecteurs, les agriculteurs. Tandis que les fervents devinrent les prêtres de l’Esprit du Paon.

La paix dura de longues années, durant lesquelles le culte s’établit. N’oubliant jamais Azim et Naahma, les Zamdaaitg se tournèrent vers l’Enfant Esprit. Ils le baptisèrent, un nom connu seulement des prêtres. Ils le virent grandir, virent sa puissance croitre, virent les évolutions qu’ils influaient sur la vallée et sur les leurs. Bientôt, l’Enfant devint un Esprit complet et fort. Bientôt il attira à lui ce dont il avait besoin.

L’Homme Sans Ecaille

La tribu tournait dans la vallée qui devenait trop petite pour eux. Ils ne pouvaient la quitter, ils étaient les protecteurs de Paon. Les prêtres érigèrent un temple en son honneur. Ils lui bâtirent un sanctuaire, dans lequel il trouverait refuge et protection. Il s’agissait d’une stèle de pierres, quelques décorations tribales et d’offrandes, et le Paon était satisfait. Les prêtres Zamdaaitg développèrent, enrichirent le culte de cet esprit divin, ne reniant jamais le Père et la Mère. Les prêtres apprirent énormément auprès de L’Esprit divin, qui leur rendait leurs prières en leur octroyant de nouveaux pouvoir, la manipulation de l’Air. L’Air, cette force naturelle devint le symbole des prêtres. La magie des Zamdaaitg se défaisait ainsi des aspects offensifs pour se spécialiser dans la protection et le renforcement, elle leur devint particulière. Primitive et parfois incertaine.

Il fallut plusieurs décennies pour que les prêtres domptent totalement la magie du Paon, mais quand il fut satisfait, l’Esprit divin fit venir à lui celui qui permettrait à la tribu de progresser encore.

L’Homme Sans Ecaille apparu un matin au milieu de la vallée, à quelques pas de la stèle élevée en l’honneur de l’Esprit Paon. L’Etranger était de petite taille, dépourvu d’écaille, de corne et de queue. Il possédait une peau parfaitement lisse et rose. Ses vêtements étaient blanc et rouge, le couvrant comme une robe. Son visage était caché sous un capuchon blanc bordé de rouge. Il ne parlait rien de compréhensible.

Les Zamdaaitg étaient prêts à défendre leur protégé divin et ses terres de l’intrusion de l’Etranger sans écaille quand l’Esprit leur fit comprendre qu’il l’avait lui-même convoqué ici. L’Homme Sans Ecaille devint alors un hôte, mais la cohabitation s’annonçait difficile tant ils étaient différent à l’origine.

Heureusement, l’Etranger était intelligent et vif d’esprit. Il comprit rapidement comment fonctionnait la tribu puis apprit quelques mots. Bientôt, il parvenait à se faire comprendre. Il ne fallut pas longtemps pour que l’Homme Sans Ecaille s’intéresse aux prêtres Zamdaaitg et à leur magie. Il révéla alors ses propres dons, il manipulait la même force naturelle, qu’il appelait Vent, parmi d’autres. Les prêtres lui enseignèrent le culte, les coutumes et la langue de la tribu. Ainsi l’Etranger et les Zamdaaitg s’enrichirent mutuellement.

Pris en affection par la tribu et tombé sous le charme de la vallée, l’Homme Sans Ecaille s’installa une tente individuelle et ne chercha jamais à retourner parmi les siens. Adoptant les coutumes Zamdaaitg , il rangea son habit blanc et rouge. Comme un nouveau frère, l’Etranger enseigna aux membres de la tribu comment améliorer la culture des champs. Il leur apprit à bâtir des tentes profondément ancrées dans la terre, aux murs et au toit de bois. Il leur apprit à s’organiser selon une hiérarchie et une structure établies. Il leur apprit la langue partagée par tous, à travers tous les pays.

La tribu pouvait enfin s’établir correctement. Les tentes en peaux et en tissus furent abandonnées. Autour du sanctuaire, les prêtres édifièrent un temple, dans lequel ils se recueillaient, méditaient et communiquaient avec l’Esprit divin. Autour du temple, un village immobile apparu. La tribu était devenue sédentaire.

L’Almazan

Une décennie de vie au sein de la tribu plus tard, l’Homme Sans Ecaille émit le désir d’en faire pleinement partie. Les Zamdaatig refusèrent d’accéder à sa requête. Malgré qu’il vive parmi eux, qu’il eut adopté les coutumes et le culte, malgré toute son implication, l’Etranger n’était pas un Raen. Alors l’Homme Sans Ecaille pria avec une ferveur redoublée l’Esprit Paon. Il finit par lui répondre et lui montrer la voie qu’il devait suivre.

L’Homme Sans Ecaille passa les deux décennies suivantes à enrichir le culte et la magie des prêtres. Ensembles, ils découvrirent de nombreux rituels alliant la magie Zamdaatig, celle de l’Etranger et les pouvoirs divins du Paon. Il devenait un pilier du culte, un pilier de la tribu et un pilier du village. Sentant le poids du temps, l’Homme Sans Ecaille fit don de la source de sa magie à la tribu. L’Almazan. Une pierre qu’il avait forgée bien longtemps auparavant dans son pays, qui devait être transmise de génération en génération pour révéler son pouvoir. Une pierre blanche gravée d’un symbole et qui pouvait contenir des connaissances de la magie et des rituels. L’Etranger et l’Esprit divin transmirent cette pierre et ses pouvoirs au prêtre le plus fervent et le plus honorable, nommant ainsi le premier Grand Prêtre du temple.

La tribu désormais sédentaire et hiérarchisée devint un clan. Exclusivement tourné vers la religion et la protection du Paon et de la vallée, le clan changea de nom, adoptant une signification plus proche de ce qu’ils étaient désormais. Ayatgid dans la langue ancestrale. Atagi, dans cette langue commune parlée à travers les continents. Ils choisirent le Grand Prêtre du temple comme chef clanique. Enkhtaivan Ayatgid, premier chef de clan et premier Grand Prêtre. L’Almazan devint également le symbole du chef de clan. Les coutumes formèrent des traditions ancrées, et de nouvelles, liées à l’organisation et particulièrement à l’Almazan, furent établies.

Intégrer l’Homme Sans Ecaille au sein du clan fut le premier acte d’Enkhtaivan, lui rendant honneur, reconnaissant sa contribution, son existence et son savoir. Légitimé dans son statut, l’Etranger fut baptisé par Enkhtaivan. L’Homme Sans Ecaille quitta la terre de vivants en tant qu’Ayatgid quelques lunes plus tard, couvert des honneurs et des rites ancestraux. Le Paon fit souffler un vent chaleureux sur la vallée en son honneur durant neuf jours. Et les Ayatgid se promirent d’ouvrir les portes du village aux étrangers tant qu’ils en adoptaient les traditions, les coutumes et les lois.

L’Altruisme

Le clan s’enracinait dans la vallée. Il prospérait, selon les critères Ayatgid, en religion et en paix. Les traditions garantissaient l’évolution et la vie dans la vallée, en autarcie presque complète. La vallée connut quelques rares visiteurs, principalement des exilés Xaela. Pacifiques et loin des conflits Aora, ils furent accueillis à conditions qu’ils acceptent de prendre les traditions, les coutumes et les lois du clan. Rares furent les Xaelas à accepter de s’intégrer à un clan Raen si loin de la mentalité des Steppes. Plus rare encore étaient les visites de Hyurs. Mais durant les siècles qui suivirent, en vinrent quelques-uns qui s’y établirent. Ils apportèrent des mots qui manquaient encore aux Ayatgid. Kami était le terme qui correspondait le mieux à L’Esprit Paon. Ce n’était pas tout à fait exacte, mais le clan savait faire des concessions pour être compris du plus grand nombre. Ils adoptèrent en outre le commun, gardant leur langue ancestral pour les cérémonies officielles, importantes ou pour le privé. Leur langue devint un héritage qu’ils entretenaient, désormais figée, comme un souvenir immuable qu’ils jalousaient mais qu’il ne fallait pas oublier. Les noms aux sonorités domiennes furent adoptés, par effet de nouveauté d’abord, puis par nécessité de se fondre, pour chérir la langue ancestrale secrète.

Avec les visites, même rares et sporadiques, il devint nécessaire de nommé le village, refusant toujours de donner un nom à la vallée, elle appartient au Paon. Le village fut appelé Kiyomura. Les nouvelles de tout Othard commençaient à parvenir régulièrement aux oreilles des Atagi. Un émissaire Domien finit par se présenter aux portes du village, estimant que tous les clans Raens devaient être sous la juridiction domienne. Attaché à son indépendance, le clan s’éleva contre la mention. Le Grand Prêtre et l’émissaire essayèrent de convaincre l’autre par la parole. Mais rapidement l’émissaire perdit patience. Menaces, manigances, corruptions devinrent les armes de ses tentatives. Le clan se souda comme un seul homme pour chasser l’émissaire. Le refus du clan Atagi de se soumettre aux Domiens était catégorique mais ils tempérèrent pour ne pas s’attirer leur inimitié. La distance aidant, un équilibre fut trouvé entre Doma et les Atagi.

La simplicité et l’isolement du village étaient une de leur plus grandes forces. Avec la protection de l’Esprit divin, aucun envahisseur ne prit pieds durablement dans la vallée. Les racines tribales alliées à la magie des Prêtres et soutenu par le Paon permettaient toujours de repousser les menaces jusqu’à ce que les dangers extérieurs ne se présentent finalement plus dans la vallée. Alors le temps de paix s’installa.

Des siècles durant, le clan n’eut pas à faire face à la moindre menace extérieure. Le temps fit oublié les racines combattantes des ancêtres. La vie était rythmée par les cycles religieux. La bienveillance était naturelle et la patience une vertu entretenue. L’entraide était la plus grande et la plus belle des valeurs transmises par les Atagi. La bonté devint leur force, leur caractère, leur voie. L’Esprit divin était paisible et comblé, ses protecteurs représentaient désormais tout ce qu’il était. L’Altruisme.