Souvenir : Frère

Une voix familière tira le Raen de ses rêveries.

— Tu m’écoutes, Kyu ?

Clignant des yeux, il dévisagea son jeune frère qui lui faisait face, une expression fâchée sur les traits. Il lui ressemblait à l’exception de ses yeux verts et ses cheveux bleus. Ses petites cornes pâles poussaient vers l’arrière, contrairement à celle de Kyuuji, recourbées vers l’avant. Il était venu le trouver un peu plus tôt dans sa chambre pour lui parler, mais le Raen était incapable de se souvenir de quoi il s’agissait.

— Pardon, Isshiki, tu disais ?

Le jeune Raen soupira théâtralement et croisa les bras, faisant mine d’être indigné par le comportement de son aîné.

— Tu m’écoutes jamais… Mais comme c’est important, je veux bien répéter.

Rentrant dans son jeu, Kyuuji sourit et inclina la tête.

— Je t’en serai très reconnaissant.

— C’est à cause de Hiwako…

Isshiki laissa sa phrase en suspens, comme si la suite allait de soit. Et c’était à peu près le cas. Ce n’était pas la première fois que son frère venait se plaindre de la jeune Raenne de son âge, Hiwako. Elle semblait le suivre partout, lui jouer des tours absurdes et lui poser toutes sortes de questions auxquelles il ne voulait pas répondre. Retenant de justesse un sourire amusé, Kyuuji essaya de garder une expression grave.

— Qu’a-t-elle fait, cette fois ?

Le cadet hésita à répondre, puis se lança en détournant le regard.

— Elle raconte à tout le monde que je suis son amoureux.

Cette fois, Kyuuji ne réussit pas à se contenir, il pouffa. Devant le regard furieux d’Isshiki, l’aîné toussota et reprit son sérieux.

— Et c’est le cas ?

— Non !

— Alors le problème est grave, effectivement.

Isshiki, avide de conseil, le regarda intensément dans l’attente de son avis. Kyuuji, pour le plaisir, fit mine de réfléchir en croisant les bras jusqu’à ce qu’il atteigne la limite de la patience de son frère.

— Si tu la contredis, tu ne feras qu’ajouter du crédit à ce qu’elle raconte. Mais si tu ne dis rien, ça ne fera que le confirmer. Le problème est grave.

L’air désespéré de son frère, l’attrista. Bien qu’anodin et infantile, son problème l’affectait. Et tout ce qui affectait son frère, le concernait également. Conscient de sa responsabilité d’aîné, Kyuuji chercha une solution.

— Le mieux serait que Hiwako avoue son mensonge. Mais la connaissant, elle ne le fera pas. Et pour que le démenti soit convainquant, il faudrait qu’il vienne d’elle, et de personne d’autre. Tu as essayé de lui parler déjà ?

Isshiki secoua la tête.

— Pour lui dire quoi ?

Kyuuji se rappela que l’enfant était très timide en dehors de la famille. Il aurait du mal à discuter avec Hiwako de ce sujet délicat. Mais il n’était pas envisageable de missionner un autre enfant, ou lui-même, pour résoudre ce problème. Cela ne ferait que mettre Isshiki dans une situation délicate. Il écarta donc sa propre question d’un geste.

— Oui, oublions.

L’aîné se frotta l’arrête du nez en réfléchissant à une autre solution.

— Sinon, tu peux essayer d’amener les autres à réaliser que c’est un mensonge.

— Comment ?

Kyuuji voyait bien quelques possibilités, mais il choisit celle qu’il trouvait le moins désagréable, tant pour Isshiki que pour Hiwako.

— En l’évitant. En lui parlant le moins possible, uniquement par politesse. Faire tout ce qui montrerait que tu n’as aucun intérêt pour elle, qu’elle est beaucoup moins importante que tes copains par exemple. Tu vois ?

L’enfant ne paraissait pas totalement convaincu mais il hocha la tête.

— Je crois. Je dois l’ignorer, c’est ça ?

C’était une façon un peu abrupte de résumer mais c’était bien ce que Kyuuji avait dit.

— Oui, mais pas seulement. Ne te montre ni méchant ni malpoli. Essaie juste de montrer qu’elle te laisse indifférent.

Isshiki hocha la tête plus vigoureusement.

— D’accord, je vais essayer. Merci Kyu.

Avec un sourire plein d’affection, l’aîné ébouriffa les cheveux de son frère qui protestait.

— Avec plaisir, petit frère.

L’enfant se libéra de l’étreinte de Kyuuji, lui tira la langue et quitta la pièce en courant. Amusé par la réaction de son frère, le Raen s’allongea sur son lit. Le matelas en duvet de plumes était agréable et confortable. D’habitude.