Chroniques du clan

Les livres, les rouleaux, les tablettes s’entassent sur des étagères fixées contre les murs de pierres.

La pièce est faiblement éclairée d’une douce lumière verte, éthérée, issue d’une unique lanterne suspendue. Directement aménagées dans la masse de la montagnes, les archives des Atagi recèlent d’une quantité surprenante d’ouvrages, pour un si petit clan. L’ancienneté de certains rouleaux ou tablettes révèle également un passé lointain, une longue histoire clanique.

S’approchant de la première étagère, il balaie du revers de la main la poussière d’une tablette pour y jeter un œil. La langue ancestrale. Il ne s’agit pas de la langue natale des Aoras, mais d’un dérivé qui est propre au clan, ayant suivi son évolution, afin de répondre à ses besoins d’écriture. Il laisse ses doigts courir sur la tablette, comme pour s’en imprégné avant de s’en détourner en soupirant. Il ne sait par où commencer. Les origines des Atagis sont quelques par ici, et donc les réponses à ses questions. D’un geste de la main, il invoque le vent qu’il maîtrise finement et balais la poussière de la pièce.

Les étiquettes de chaque étagère ainsi révélées indiquent un classement précis et rigoureux des archives. Souriant à la méthodologie de ses ancêtres, il s’approche de l’étagère portant les toutes premières archives du clan. Il soulève précautionneusement un rouleau ancien dont le titre le satisfait et, sans plus attendre, il se plonge dans la lecture. Debout dans cette pièce sans fenêtre, éclairé à la seule lueur fantomatique de la lanterne magique, les premiers mots se gravent dans sa tête.

L’Exode

Le Père et la Mère s’étaient adressés à ceux qui devaient suivre la Voie, leurs Voie. Tels étaient les premiers fondement du clan Atagi.

Azim et Naahma réunirent ceux qu’ils avaient choisi pour leur confier une tâche importante. Les ancêtres du clan, ainsi élus, quittèrent la tribu mère, dont le nom fut rapidement oublié, car déjà les premiers conflits éclatèrent.

Ceux qui n’avaient entendu l’appel du Père et de la Mère, ceux qui n’avaient pas été choisis, refusèrent de les croire, refusèrent de voir une partie de leur tribu s’en aller, et tentèrent de les retenir, par la force. Mais Azim avaient choisi des hommes et des femmes parmi les plus endurants, tandis que Naahma avaient désigné certains des plus fervents et leurs octroya quelques pouvoirs. Ainsi, les élus purent se défendre et se protéger afin de quitter la tribu.

Des années durant, le chemin que leur indiquaient Azim le jour et Naahma la nuit les mena loin des steppes, loin du désert, dans les montagnes qui n’avaient pas de nom. Avant même d’atteindre ces montagnes, après des années d’exode, les élus se nommèrent eux-mêmes comme une tribu, afin de marquer leur union dans le voyage et dans la foi. Zamdaaitg. C’était le nom du clan dans la langue ancestrale. Zamdaaitg. Littéralement « croire en la voie ». Porteuse d’espoir, de foi, d’union. Les Zamdaaitg étaient ainsi unis, forts, endurants, fervents.

La marche les guida enfin aux pieds des Montagnes, un sol qu’ils ne connaissaient pas, un monde qui leur était inconnu. Guidés par Azim et Naahma, ils n’avaient aucune crainte. Le chemin fut rude. Les jeunes soutenaient les anciens, les nouvelles générations remplacèrent les anciennes, les paroles divines résonnaient toujours, les guidant à travers les monts, les cols et les vallées. Les premiers à avoir reçu l’appel du Père et de la Mère quittèrent les terres pour les rejoindre tandis que les générations suivantes recevaient toujours le même appel, les menant toujours plus loin dans les montagnes, les mettant toujours à l’épreuve de la foi et de l’endurance.

La vallée

Bien des décennies après le départ de la tribu mère, les Zamdaaitg finirent par atteindre leur destination. Azim illumina de ses rayons une vallée logée au cœur d’une chaîne de montagnes tandis que Naahma la baignait dans son halo lunaire. De nouveau ils s’adressèrent aux Zamdaaitg. Ici se trouvait un enfant, un enfant divin, qu’ils devaient protéger, veiller et honorer comme s’il était l’enfant du couple divin lui-même.

Tous purent percevoir la présence de l’esprit, primitif mais pourtant jeune. Puissant mais pourtant affaiblit. L’esprit du Paon appela à l’aide et les Zamdaaitg répondirent à son appel, honorant ainsi leur devoir envers le Père et la Mère.

S’engageant dans la vallée, la tribu dut faire face à de nombreux danger, de nombreuses menaces, d’autres esprits malveillants s’en prenait à leur nouveau protéger. La faune et la flore locale étaient inhospitalières, agressives. Les Zamdaaitg durent lutter pour atteindre l’Esprit Paon. Mais lorsque ce fut fait, Azim et Naahma les bénirent. Naahma permit aux plus fervents de communiquer avec l’enfant divin afin de le comprendre et de lui apporter leur aide. Tandis que Azim renforça le corps des plus endurant afin d’assurer la protection de la tribu et de l’Esprit.

Une fois les ennemis de l’Enfant Paon vaincus, il prit l’ascendance sur la vallée. En quelques années elle devint un lieux paisible et abondant. Ses pouvoirs se renforcèrent, un lien profond se tissa entre les Zamdaaitg et lui. Il établit son domaine dans la vallée et s’y installa durablement, obligeant la tribu à la sédentarité pour le protéger. En échange, il leur offrit le pouvoir de Vent et un endroit à l’abri de tout où prospérer et s’installer. Il fit pousser les arbres pour qu’ils construisent des maisons. Il irrigua les terres de la vallée pour qu’ils puissent y cultiver des denrées. Il peupla les montagnes de loups qu’ils purent domestiquer. Enfin, il veilla à ce que la vallée reste inaccessible aux étrangers.

Ainsi les Zamdaaitg avaient cru en la Voie indiquée par le Père et la Mère, ainsi ils avaient terminé leur voyage, ainsi ils pouvaient désormais remplir leur devoir. Zamdaaitg, croire en la voie, était le symbole qui unifiait la tribu. Les forts devinrent les chasseurs, les protecteurs, les agriculteurs. Tandis que les fervents devinrent les prêtres de l’Esprit du Paon.

La paix dura de longues années, durant lesquelles le culte s’établit. N’oubliant jamais Azim et Naahma, les Zamdaaitg se tournèrent vers l’Enfant Esprit. Ils le baptisèrent, un nom connu seulement des prêtres. Ils le virent grandir, virent sa puissance croitre, virent les évolutions qu’ils influaient sur la vallée et sur les leurs. Bientôt, l’Enfant devint un Esprit complet et fort. Bientôt il attira à lui ce dont il avait besoin.

L’Homme Sans Ecaille

La tribu tournait dans la vallée qui devenait trop petite pour eux. Ils ne pouvaient la quitter, ils étaient les protecteurs de Paon. Les prêtres érigèrent un temple en son honneur. Ils lui bâtirent un sanctuaire, dans lequel il trouverait refuge et protection. Il s’agissait d’une stèle de pierres, quelques décorations tribales et d’offrandes, et le Paon était satisfait. Les prêtres Zamdaaitg développèrent, enrichirent le culte de cet esprit divin, ne reniant jamais le Père et la Mère. Les prêtres apprirent énormément auprès de L’Esprit divin, qui leur rendait leurs prières en leur octroyant de nouveaux pouvoir, la manipulation de l’Air. L’Air, cette force naturelle devint le symbole des prêtres. La magie des Zamdaaitg se défaisait ainsi des aspects offensifs pour se spécialiser dans la protection et le renforcement, elle leur devint particulière. Primitive et parfois incertaine.

Il fallut plusieurs décennies pour que les prêtres domptent totalement la magie du Paon, mais quand il fut satisfait, l’Esprit divin fit venir à lui celui qui permettrait à la tribu de progresser encore.

L’Homme Sans Ecaille apparu un matin au milieu de la vallée, à quelques pas de la stèle élevée en l’honneur de l’Esprit Paon. L’Etranger était de petite taille, dépourvu d’écaille, de corne et de queue. Il possédait une peau parfaitement lisse et rose. Ses vêtements étaient blanc et rouge, le couvrant comme une robe. Son visage était caché sous un capuchon blanc bordé de rouge. Il ne parlait rien de compréhensible.

Les Zamdaaitg étaient prêts à défendre leur protégé divin et ses terres de l’intrusion de l’Etranger sans écaille quand l’Esprit leur fit comprendre qu’il l’avait lui-même convoqué ici. L’Homme Sans Ecaille devint alors un hôte, mais la cohabitation s’annonçait difficile tant ils étaient différent à l’origine.

Heureusement, l’Etranger était intelligent et vif d’esprit. Il comprit rapidement comment fonctionnait la tribu puis apprit quelques mots. Bientôt, il parvenait à se faire comprendre. Il ne fallut pas longtemps pour que l’Homme Sans Ecaille s’intéresse aux prêtres Zamdaaitg et à leur magie. Il révéla alors ses propres dons, il manipulait la même force naturelle, qu’il appelait Vent, parmi d’autres. Les prêtres lui enseignèrent le culte, les coutumes et la langue de la tribu. Ainsi l’Etranger et les Zamdaaitg s’enrichirent mutuellement.

Pris en affection par la tribu et tombé sous le charme de la vallée, l’Homme Sans Ecaille s’installa une tente individuelle et ne chercha jamais à retourner parmi les siens. Adoptant les coutumes Zamdaaitg , il rangea son habit blanc et rouge. Comme un nouveau frère, l’Etranger enseigna aux membres de la tribu comment améliorer la culture des champs. Il leur apprit à bâtir des tentes profondément ancrées dans la terre, aux murs et au toit de bois. Il leur apprit à s’organiser selon une hiérarchie et une structure établies. Il leur apprit la langue partagée par tous, à travers tous les pays.

La tribu pouvait enfin s’établir correctement. Les tentes en peaux et en tissus furent abandonnées. Autour du sanctuaire, les prêtres édifièrent un temple, dans lequel ils se recueillaient, méditaient et communiquaient avec l’Esprit divin. Autour du temple, un village immobile apparu. La tribu était devenue sédentaire.

L’Almazan

Une décennie de vie au sein de la tribu plus tard, l’Homme Sans Ecaille émit le désir d’en faire pleinement partie. Les Zamdaatig refusèrent d’accéder à sa requête. Malgré qu’il vive parmi eux, qu’il eut adopté les coutumes et le culte, malgré toute son implication, l’Etranger n’était pas un Raen. Alors l’Homme Sans Ecaille pria avec une ferveur redoublée l’Esprit Paon. Il finit par lui répondre et lui montrer la voie qu’il devait suivre.

L’Homme Sans Ecaille passa les deux décennies suivantes à enrichir le culte et la magie des prêtres. Ensembles, ils découvrirent de nombreux rituels alliant la magie Zamdaatig, celle de l’Etranger et les pouvoirs divins du Paon. Il devenait un pilier du culte, un pilier de la tribu et un pilier du village. Sentant le poids du temps, l’Homme Sans Ecaille fit don de la source de sa magie à la tribu. L’Almazan. Une pierre qu’il avait forgée bien longtemps auparavant dans son pays, qui devait être transmise de génération en génération pour révéler son pouvoir. Une pierre blanche gravée d’un symbole et qui pouvait contenir des connaissances de la magie et des rituels. L’Etranger et l’Esprit divin transmirent cette pierre et ses pouvoirs au prêtre le plus fervent et le plus honorable, nommant ainsi le premier Grand Prêtre du temple.

La tribu désormais sédentaire et hiérarchisée devint un clan. Exclusivement tourné vers la religion et la protection du Paon et de la vallée, le clan changea de nom, adoptant une signification plus proche de ce qu’ils étaient désormais. Ayatgid dans la langue ancestrale. Atagi, dans cette langue commune parlée à travers les continents. Ils choisirent le Grand Prêtre du temple comme chef clanique. Enkhtaivan Ayatgid, premier chef de clan et premier Grand Prêtre. L’Almazan devint également le symbole du chef de clan. Les coutumes formèrent des traditions ancrées, et de nouvelles, liées à l’organisation et particulièrement à l’Almazan, furent établies.

Intégrer l’Homme Sans Ecaille au sein du clan fut le premier acte d’Enkhtaivan, lui rendant honneur, reconnaissant sa contribution, son existence et son savoir. Légitimé dans son statut, l’Etranger fut baptisé par Enkhtaivan. L’Homme Sans Ecaille quitta la terre de vivants en tant qu’Ayatgid quelques lunes plus tard, couvert des honneurs et des rites ancestraux. Le Paon fit souffler un vent chaleureux sur la vallée en son honneur durant neuf jours. Et les Ayatgid se promirent d’ouvrir les portes du village aux étrangers tant qu’ils en adoptaient les traditions, les coutumes et les lois.

L’Altruisme

Le clan s’enracinait dans la vallée. Il prospérait, selon les critères Ayatgid, en religion et en paix. Les traditions garantissaient l’évolution et la vie dans la vallée, en autarcie presque complète. La vallée connut quelques rares visiteurs, principalement des exilés Xaela. Pacifiques et loin des conflits Aora, ils furent accueillis à conditions qu’ils acceptent de prendre les traditions, les coutumes et les lois du clan. Rares furent les Xaelas à accepter de s’intégrer à un clan Raen si loin de la mentalité des Steppes. Plus rare encore étaient les visites de Hyurs. Mais durant les siècles qui suivirent, en vinrent quelques-uns qui s’y établirent. Ils apportèrent des mots qui manquaient encore aux Ayatgid. Kami était le terme qui correspondait le mieux à L’Esprit Paon. Ce n’était pas tout à fait exacte, mais le clan savait faire des concessions pour être compris du plus grand nombre. Ils adoptèrent en outre le commun, gardant leur langue ancestral pour les cérémonies officielles, importantes ou pour le privé. Leur langue devint un héritage qu’ils entretenaient, désormais figée, comme un souvenir immuable qu’ils jalousaient mais qu’il ne fallait pas oublier. Les noms aux sonorités domiennes furent adoptés, par effet de nouveauté d’abord, puis par nécessité de se fondre, pour chérir la langue ancestrale secrète.

Avec les visites, même rares et sporadiques, il devint nécessaire de nommé le village, refusant toujours de donner un nom à la vallée, elle appartient au Paon. Le village fut appelé Kiyomura. Les nouvelles de tout Othard commençaient à parvenir régulièrement aux oreilles des Atagi. Un émissaire Domien finit par se présenter aux portes du village, estimant que tous les clans Raens devaient être sous la juridiction domienne. Attaché à son indépendance, le clan s’éleva contre la mention. Le Grand Prêtre et l’émissaire essayèrent de convaincre l’autre par la parole. Mais rapidement l’émissaire perdit patience. Menaces, manigances, corruptions devinrent les armes de ses tentatives. Le clan se souda comme un seul homme pour chasser l’émissaire. Le refus du clan Atagi de se soumettre aux Domiens était catégorique mais ils tempérèrent pour ne pas s’attirer leur inimitié. La distance aidant, un équilibre fut trouvé entre Doma et les Atagi.

La simplicité et l’isolement du village étaient une de leur plus grandes forces. Avec la protection de l’Esprit divin, aucun envahisseur ne prit pieds durablement dans la vallée. Les racines tribales alliées à la magie des Prêtres et soutenu par le Paon permettaient toujours de repousser les menaces jusqu’à ce que les dangers extérieurs ne se présentent finalement plus dans la vallée. Alors le temps de paix s’installa.

Des siècles durant, le clan n’eut pas à faire face à la moindre menace extérieure. Le temps fit oublié les racines combattantes des ancêtres. La vie était rythmée par les cycles religieux. La bienveillance était naturelle et la patience une vertu entretenue. L’entraide était la plus grande et la plus belle des valeurs transmises par les Atagi. La bonté devint leur force, leur caractère, leur voie. L’Esprit divin était paisible et comblé, ses protecteurs représentaient désormais tout ce qu’il était. L’Altruisme.

Chapitre 1

Les flammes du feu de camps crépitaient dans leur foyer sommaire.

La nuit s’était installée depuis longtemps sur les plaines, mais Pakhemetnou était encore éveillé. Assis sur sa caisse d’alchimie qu’il ne quittait jamais, il caressait machinalement l’anneau qu’il portait à l’index. Son regard se perdait dans les ombres mouvantes et animées qui erraient dans le bijou enchâssé. Perdu dans des souvenirs lointains, Pakhemetnou ne remarqua pas que son ami et compagnon d’aventures s’était installé à ses côtés.

— Tu as l’air bien loin, Pakhem, tout va bien ?

Tiré de ses pensées en sursaut, l’homme leva ses yeux bruns vers son ami et hocha la tête.

— Oui, oui, pardon, j’étais nostalgique.

Jocelyn, un élézen tout en élégance et en finesse, posa son coude sur son genou et soutint sa tête légèrement penchée dans une attitude malicieuse. Un fin sourire sur les lèvres, il posa son regard une seconde sur l’anneau de son camarade.

— Tu ne m’as jamais parler de cette bague.

Suivant son regard, Pakhemetnou se perdit un bref instant dans ses songes.

— C’est une très longue histoire.

C’était véritablement une longue histoire. D’une époque révolue. Parlant d’amis disparus depuis longtemps. Mais dont il gardait un souvenir inébranlable. L’homme s’efforçait à se remémorer ces souvenirs régulièrement, afin de ne pas les oublier avec le temps. Se délectant parfois d’en goûter de nouveau toutes leurs saveurs.

— Nous avons le temps, raconte la moi, s’il te plait. Tes histoires ont toujours quelques choses de fantastique, Pakhem.

Soufflant un petit rire, l’homme ne pouvait le contredire. Il en avait raconter des histoires, tantôt surprenantes, tantôt émouvantes, parfois héroïques. Mais celle-ci lui était particulièrement importante, intime. Il ne la partageait qu’à ceux qu’il estimait profondément. Pakhemetnou croisa le regard de l’élézen. Il y lut la sincérité de l’amitié qu’ils partageaient.

— D’accord, mais la nuit risque de ne pas suffire.

Satisfait, Jocelyn lui sourit chaleureusement, faisant mine de s’installer plus confortablement.

— Je m’en doute ! J’ai toute ma vie pour écouter le récit de la tienne !

Souriant à son tour, Pakhemetnou croisa les mains sur ses genoux, son regard se perdit dans l’horizon tandis qu’il se plongeait dans son récit.

« C’était il y a bien longtemps, au début de la septième ère astrale. Je venais d’arriver en Eozéa par bateau, poussé par mes habituels signes. J’avais traversé l’océan et quitté mon pays. Je venais d’Hingashi et je croyais, à cette époque, qu’il s’agissait de mon pays natal. J’ignorais encore tout de mon identité. De qui j’étais réellement. J’avais même oublié mon propre prénom.

Les signes m’avaient conduit dans ce bourg côtier dans le désert du Thanalan appelé la Baie des Vêpres. J’y cherchais un petit être malade que je devais soigner. Sans le comprendre, naturellement. Comme à mon habitude, j’interrogeais quiconque croisait mon chemin, proposant autant mon aide que me renseignant sur cet enfant malade que je savais trouver ici le moment venu.

Je rendais bien service, avec plaisir, plein de volonté. Mais je n’obtenais aucune information sur la raison de ma venue. Aucun enfant n’était malade par ici. J’y restai plusieurs jours, sans jamais désespérer ou perdre la foi. Puis un matin, un couple de ces hommes miniatures, les Lalafells, accompagné d’un enfant se présenta à la Baie pour continuer leur voyage par la mer. Sans le savoir, leur enfant était rongé par un mal étrange, invisible et indétectable pour les personnes non dotées de pouvoir magique. Une maladie que j’étais pleinement capable de guérir.

Alors je le soignai. Je supprimai, détruisis, ce qui rongeait l’enfant. Ses parents réalisèrent alors qu’il allait mieux, qu’il reprenait des couleurs, qu’il retrouvait son énergie habituelle. Ils voulurent me rétribuer pour me remercier. C’était dans leur culture. Toute bonne action se devait d’être rétribuer. Je ne comprenais pas cela. Alors je refusai, comme toujours. Je n’avais fait que servir les dieux en répondant et en suivant les signes qu’ils m’avaient montré.

Je restai encore quelques jours après cela, continuant à rendre service gracieusement, jusqu’à ce que de nouveaux signes m’eurent apparus.

Quand ils vinrent, je ne pouvais les ignorer alors je quittai, sans un mot, sans un regard, ce petit bourg côtier pour m’enfoncer dans le désert du Thanalan. Rien ne me retenait ici, ou ailleurs. J’étais un vagabond et j’aimais cela. Découvrir de nouveaux lieux, de nouveaux paysages. Des peuples aux cultures singulières. Des créatures aux pouvoirs mystiques. Des plantes aux propriétés insoupçonnées. Ma passion pour l’alchimie était comblée. Je trouvais toujours quelque chose d’incroyable au cours de mes errances. J’aimais tellement cela que je ne voulais pas que cela cesse, sous aucun prétexte. Je ne pouvais pas même l’envisager.

Suivant avec enthousiasme les signes que les dieux m’envoyaient, je m’enfonçais dans ce désert qui m’était inconnu. Le Thanalan était vaste, chaud et aride. Témoin de sa propre histoire, il portait les vestiges des temps passés. Les ruines y étaient nombreuses, prêtes à raconter leurs histoires à qui voulait bien les écouter. Je leur tendais de temps en temps l’oreille, quand mes pieds me permettaient de m’arrêter pour y prêter attention. D’autres fois, je passais devant sans même les voir. Ma réalité, mon monde, se limitait parfois au chemin que je devais suivre.

J’aimais bien le Thanalan. La sensation du sol meuble sous mes sandales. Le crissement des grains de sable qui se déplaçaient pour accueillir ma semelle. Les rayons du soleil qui réchauffait ma peau. Le contraste avec l’ombre fraiche qu’un soleil si ardent pouvait produire. Le rouge, l’orange, l’ocre, le jaune qui dominaient toutes les autres couleurs. L’odeur du souffre, du silex, du sable chaud. J’aimais le Thanalan. Et je ne savais pas pourquoi.

Mes pas me conduisirent finalement dans un autre village. Un lieu d’échanges et de commerce. Le Rond-Point du Scorpion, en référence à l’autorité commerciale en place à l’époque.

Je savais que j’avais quelque chose à y faire, que les Dieux m’y avaient envoyé dans un but précis, mais j’ignorais encore lequel. Comme à la Baie des Vêpres, j’interrogeai alors les personnes que je croisais. Je proposais mon aide, je rendais service le temps de découvrir ce que les Dieux m’avaient réservé. Je n’eus pas à attendre bien longtemps. A peine avais-je fait le tour du Rond-Point, que je tombai sur une cargaison de marchandises corrompues. A l’époque, je ne savais pas de quoi il en retournait, je savais seulement qu’il ne fallait pas laisser cette marchandise transiter et être distribuée. Comprenant que c’était là ma mission, je détruisis ce qui corrompait la marchandise. Mais mon geste fut bien mal accueilli par le propriétaire de la cargaison. Je dus m’expliquer mais je n’avais pas d’arguments valides alors l’altercation devint rapidement un scandale. Fort heureusement, la marchandise fut inspectée. Il s’agissait de céréales et d’autres denrées sèches et leur impureté était visible. Alors on me crut. Ils firent venir des mages de la ville d’à côté, Ul’dah, pour détruire la marchandise correctement.

Mon devoir accompli, je ne restai pas d’avantage dans le village, le regard qu’on me portait me mettait mal à l’aise. »

Chapitre 2

Pakhemetnou avait recommencé à faire tourner son anneau autour de son index sans s’en rendre compte, plongé dans ses souvenirs. Jocelyn était aussi absorbé que lui par son récit. L’homme aimait poser le contexte, expliquer la situation et son état d’esprit avant de rentrer dans le cœur de l’histoire. C’était important. Et l’élézen adorait cela. Il se sentait immergé dans le récit. Il avait l’impression d’y être, de le vivre. La voix, le rythme, les intonations de Pakhemetnou étaient mesurées et servaient parfaitement son récit. Jocelyn lui trouvait de véritables qualités de conteur.

— Tu étais à la fois celui qui avait créé un scandale, celui qui avait fait détruire les marchandises d’un vendeur et celui qui avait certainement éviter des centaines d’intoxications alimentaires. Et tout cela, avec des explications ésotériques.

L’homme acquiesça doucement, tournant son regard sur son ami.

— Je l’ai compris bien plus tard, mais j’étais déjà loin et cela ne m’importait finalement qu’assez peu.

— J’imagine… Tu me parles de tes signes. De quoi s’agissait-il ?

Pakhemetnou haussa lentement les épaules, désormais désillusionné.

— De bien peu de choses en réalité, c’était surtout un prétexte. Le sens du vent, la forme d’un nuage, un insecte qui se pose sur une branche… N’importe quoi d’anodin pouvait se révéler être un signe à mes yeux.

— Un prétexte. Il n’y avait rien de divin alors ?

L’homme soupira en secouant lentement la tête, l’air dépité.

— Rien du tout. Mais je le croyais dur comme fer, et je ne pouvais en douter, c’était impossible. Pour moi, à cette époque, je ne faisais que suivre la volonté d’une quelconque divinité dont j’ignorais tout.

L’élézen avait l’habitude de cet ésotérisme et excentricité dans les histoires de son ami, il ne l’en jugeait pas. Il pouvait certes passer pour fou, mais l’homme qu’il avait en face de lui était loin de l’être. C’est tout ce qui importait à Jocelyn.

— Je vois… Alors tu as repris ton voyage avant d’avoir de nouveaux signes ?

Pakhemetnou opina lentement, ses yeux retournèrent à l’horizon tandis que ses pensées retrouvèrent leurs souvenirs.

« J’aimais bien le Thanalan, alors j’y errai sans but, prenant le temps d’observer la faune et la flore locales. Je trouvai quelques ingrédients mystérieux. Les feuilles d’une plante particulièrement m’intriguèrent. Après quelques essaies infructueux, je découvris quelques propriétés que je notai sur un bout de papier et les rangeai dans mon coffre. Alors que je m’intéressais à un fluide orangé contenu dans les mandibules de ces énormes insectes, je perçu enfin de nouveau signes. Ils m’enjoignaient de reprendre ma route, en direction de l’est. Ce que je fis sans attendre, bien entendu.

Je marchais dans le désert, presque hypnotisé par sa beauté. J’aperçus, non loin, la capitale du Thanalan, Ul’dah. Mes pensées avaient erré un moment sur ce sujet, je m’interrogeai sur les rapports entre cette cité et les ruines alentours, sur l’origines des richesses qu’elle semblait abriter et sur le mode de vie que ses habitants pouvaient avoir entre ses murs. Cela me paraissait à la fois très loin et très proche. Mais bientôt, l’enceinte de la Cité passa hors de mon champ de vision et mon attention se porta sur autre chose. J’approchais d’une gare. La gare de Roncenoire. C’était ma destination, je le savais.

J’installai, comme à mon habitude, mon campement à l’extérieur de la ville, sous les étoiles. J’aime dormir sans toits au-dessus de ma tête, sans murs autour de moi, sans plancher en dessous. Puis je me mis en quête de la raison de ma venue ici. Encore une fois, je rendis services gracieusement tout en me renseignant sur la ville et ses environs. Je n’eus aucun mal à comprendre que ce n’était pas dans la gare même que j’allais être le plus utile. Un peu plus loin, au nord-est, il y avait un camp de réfugiés et de nécessiteux. Je voulu m’y rendre pour les aider quand je réalisai quelle était ma mission.

Un frisson parcouru mon échine, je m’arrêtai alors net dans ma démarche, mettant mes sens en alerte. Je cherchai l’origine de cette sensation et je trouvai à l’écart de la route une sorte d’ombre. Rien de naturel, c’était évident. Je percevais cette ombre, telle une tâche sur ma rétine, à travers la roche du désert. Je m’en approchai, quittant le chemin et gravissant quelques rochers. Sans prendre le temps d’admirer la vue, j’examinai ce qui avait attiré mon attention. Un déséquilibre. J’étais bien incapable d’en comprendre la nature, ni même la signification, mais je savais ce que je devais faire. Les Dieux m’avaient envoyé résoudre cela. Sans crainte et sans le moindre doute, j’étendis mes mains vers cette ombre et accomplis la volonté divine. L’ombre se résorba, se dissolvant dans les couleurs du désert, ne laissant rien derrière elle. Ma mission était accomplie. Je pouvais désormais librement continuer à rendre service jusqu’à percevoir les prochains signes. Jamais je ne doutai de les recevoir. Qu’ils mettent des semaines ou des mois à m’apparaitre, ils finissaient toujours par arriver.

Après la Gare de Roncenoire, ce fut dans un refuge, la petite Ala Mhigo, que les signes me guidèrent. A l’époque, la cité Ala Mhigo était occupée par Garlemald, l’ennemi d’Eorzéa, il parait. Et des centaines de réfugiés avaient trouvé un foyer dans cette petite ville, camouflée dans des grottes du Thanalan, à l’abris des regards et de la chaleur du désert. Le désespoir régnait aux côtés de la pauvreté et de la colère. Je ne rendis pas services comme j’en avais l’habitude, je préférai les encourager à ne pas perdre espoir de revoir un jour leur cité libérée du joug de l’Empire. Bien sûr, je ne savais même pas ce qu’était Garlemald, ou l’Empire de Garlemald comme ils disaient. Tout comme je ne savais rien d’Ala Mhigo ou même du Thanalan. Mais personne ne s’en préoccupait. J’avais des paroles encourageantes et porteuses d’espoir, c’était tout ce dont ils avaient besoin. Bientôt, la défiance des réfugiés à mon égard disparut et les autorités me parlèrent d’un problème qu’ils n’arrivaient pas à résoudre. Il s’agissait d’une autre grotte, à l’est, qui était infestée de revenants. Ma vision se troubla alors, mes sens en exergue, mon cœur battait à tout rompre dans ma poitrine. Je me portai volontaire pour y enquêter et, bien sûr, ils acceptèrent mon aide.

Alors je me rendis sur place, sans même savoir où c’était, guidé par la lumière divine. Je suivis un éclat lumineux, certain qu’il s’agissait du chemin à suivre. Je trouvai, sans le moindre détour alors que j’ignorais sin emplacement, cette grotte qu’ils appelaient la Sépulture. Et elle portait bien son nom. Les revenants, ces êtres dont l’âme torturée n’avait plus rien d’humaine, dont le corps sans vie obéissait à une quelconque volonté, brillaient à mes yeux comme des torches en pleine nuit. Non pas de flammes jaune, orange ou rouge, mais d’un feu violet aux reflets et aux ombres bleues. Sans crainte, je pénétrai dans la grotte, armant mes poings et les détruisis. Mes mains les consumèrent ensuite, purifiant le mal du monde. Tout en me battant, je me sentais reprendre vie, reprendre force, mon corps me parut plus léger, plus fort, plus combattif. Rarement le combat m’avait paru aussi aisé, inné. Quand il n’y eut plus un seul revenant, je me sentis comme comblé, l’âme légère et satisfaite. Une fois de plus, j’avais accompli la volonté des Dieux.

Retournant au refuge de la Petit Ala Migho, je fis un résumé de ce qui s’était passé aux personnes qui m’avaient confié ce problème. Ils étaient abasourdis que je l’eus réglé si vite. Ils voulurent me confier d’autre travail, me parlant de cette étrange façon de faire, ici en Eorzéa. Les autorités, quand elles ne pouvaient s’occuper d’ennuis elles-mêmes, en confiaient la tâche à des personnes capables de s’en charger. Des mandats adressés à des aventuriers, ça doit te rappeler quelque chose Jocelyn. Je n’en compris, naturellement, pas un traître mot. Ils durent s’en rendre compte car ils n’insistèrent pas et me laissèrent m’en retourner pour me reposer.

Je restai encore une journée, ou deux, dans cette oasis de fraicheur dans le Thanalan. Portés par un regain d’espoir, les réfugiés reprenaient leurs activités avec plus d’entrain. Je me sentais bien à les observer de loin, sans me mêler, en attendant les prochains signes.

Je n’eus pas longtemps à attendre. Et je me mis en route sans attendre. Cette fois, mes pas me dirigeaient vers le nord. Je n’avais fait qu’aller globalement vers l’est depuis que j’avais commencé à fouler le sol du Thanalan. Mais cela n’éveilla absolument rien de particulier en moi. Je ne faisais que suivre la direction qu’on m’indiquait. C’était tout ce qui comptait.

J’arrivai rapidement dans une étrange ville. Construite en sous-sol, directement dans la roche du désert. C’était malin, je le reconnu aisément, la fraicheur y était maintenue par les épais murs naturel. Et l’ombre y était presque constante, de par la profondeur du gouffre autour duquel les bâtiments étaient construits. Plusieurs accès permettaient de remonter à la surface, au plus chaud du désert. Mais le cœur de la ville conservait la fraicheur de la nuit. J’étais ébloui par cette ville, le camp des Os desséchés.

J’installai mon petit campement au nord du gouffre, à flanc de rocher, je n’aurai pu m’installer en bas, j’y avais la sensation d’être un prisonnier entre quatre murs, ne pouvant voir le ciel qu’à travers l’ouverture, comme un infime faisceau, un minuscule échantillon de ciel. Je préférai devoir remonter à la tombée de la nuit et pouvoir profiter pleinement de l’étendu la plus vaste que m’offrait la voûte céleste. »

Chapitre 3

Pakhemetnou laissa planer le silence, totalement absorbé par ses souvenirs. Respectueux de sa narration, l’élézen patienta en silence, ne sachant s’il s’était perdu dans ses pensées ou s’il ménageait un silence à dessein. Décidant finalement de profiter de la pause dans le récit, Jocelyn se détourna pour fouiller dans son sac à la recherche d’une bouteille qu’il déboucha d’un geste. Après en avoir bu une gorgée il la tendit vers Pakhemetnou.

— Au plus près de tes dieux ? Tu en veux ?

Sortant de sa torpeur, l’homme acquiesça et se désaltéra à son tour avant de lui rendre la bouteille.

— Merci. Au plus près des dieux ou des cieux, au plus loin d’autre chose, je n’en sais rien. Je ne me posais pas toutes ces questions. Mon existence même se limitait à servir ce que je croyais être les Dieux.

L’élézen eut un petit rire malicieux, taquin, mais nullement moqueur tandis qu’il rebouchait la bouteille et la rangeait.

— Ça a bien changé, dit moi !

Souriant, Pakhemetnou roula des yeux.

— Bien heureusement ! Mais c’était il y a vraiment longtemps, tu sais. Je ne saurai te dire depuis combien de temps j’avais adopté ce mode de vie avant que je n’arrive dans le Thanalan. Ni même si c’était la première fois que je foulais ce sol, ou si j’y étais déjà venu.

« Descendant à la ville tous les jours, je m’appliquais à me rendre utile, gracieusement, à rendre service. Je m’aperçus alors qu’on m’avait affublé d’un surnom, le Bon Samaritain. Ma réputation m’avait précédée et j’y fus bien accueilli. Les autorités locales, j’appris qu’il s’agissait des Grandes compagnies, particulièrement les Immortels dans le Thanalan, me confièrent des mandats, comme ils le faisaient aux aventuriers classiques. Poussé par la curiosité, je décidai de m’y intéresser et d’en remplir quelques-uns. C’est un de ces mandats qui me conduisit sur la voie que me réservaient les Dieux. Il était question de prendre contact avec le client dans un Bazar légèrement au nord de la ville, afin d’en apprendre plus sur ses besoins. Sur le chemin, je passai à côté d’une cité en ruine peuplée de mort vivant et de démons. J’oubliai alors tout des mandats et du marchand pour m’orienter vers les ruines de la Cité Invisible.

Je sentais la présence d’une source impure dans une bâtisse délabrée. Je m’y frayai donc un chemin de mes poings, libérant les âmes damnées de ces créatures qui n’avaient trouvé le repos. Alors que je n’attendais pas de renfort, trois personnes se joignirent à moi dans mon combat jusqu’à la source qui attirait les démons. Opale. Composée de deux hommes et une femme, un couple de hyurois et un Aora. La jeune femme et l’Aora étaient des magiciens et le Hyurs un combattant. Tous les quatre, nous arrivâmes rapidement devant la source du mal des ruines de la Cité Invisible. Il s’agissait d’une urne dans laquelle était cachée des offrandes maléfiques. D’un geste, je fis exploser l’urne puis, d’un autre mouvement de la main, je détruisis le mal. Cela impressionna les gens d’Opale, qui voulurent discuter. Nous rentrâmes en ville pour discuter. Ils m’interrogèrent sur de nombreuses choses, mais je ne pouvais leur apporter beaucoup de réponses. L’origine de mes pouvoirs, comment je m’orientais, d’où je venais, qui étais-je… Tant de questions dont j’avais oublié les réponses. Tant de choses qui ne n’importaient plus. Leurs paroles me rendais parfois curieux, ils m’apprirent que je commençais à faire l’objets de rumeurs. J’étais très loin de toutes ces considérations. Je passai à leurs yeux pour un fou, tout à fait capable certainement, mais fou. Je ne m’en rendais pas compte, naturellement, toujours dans ma réalité propre du monde. Puis, ils me parlèrent de leur association, Opale. Une association humanitaire, basée sur le bénévolat et les dons, l’autonomie et l’indépendance. Ils voulurent m’inviter à les rejoindre, ils pensaient qu’ainsi, je serai plus efficace. Je refusai, je ne faisais que suivre les signes, et je me suffisais à moi-même. Leur association était une bonne initiative, mais je ne pouvais m’y joindre. Je me devais de suivre mes pas, mes dieux, mes signes. Remplir ma mission. Et elle n’était pas de m’engager dans une association. L’idée de me mêler régulièrement et durablement à autrui, avoir des devoirs ou des responsabilités, m’était simplement impossible, je la rejetais en bloc. Je niais tout bonnement qu’une telle chose fut possible.

La nuit était bien avancée quand ils décidèrent de retourner vaquer à leurs occupations. Comme presque toutes les rencontres de cette époque, elle me sortit rapidement de la tête et je retournai à mon campement pour la nuit. Cette rencontre marquait pourtant le début de toute une épopée dont je devais tout ignorer jusqu’à ce qu’elle soit achevée.

Je continuai mes errances au grès des signes, répondant à leurs appels de la seule manière que je connaissais. Je purgeai quelques maux, je rééquilibrai quelques corruptions, je répandis quelques paroles d’encouragements.

Mes pieds me menèrent ensuite vers le nord, en direction de Sombrelinceul. Cette forêt majestueuse où la démesure régnait en maître. Les arbres étaient immenses, leur tronc aurait pu abriter des maisons entières. A leur échelle, la faune me faisait frémir. Tout en grandeur, en couleurs en exotisme. Tout éveillait en moi ma passion pour les ingrédients. Je ne sais combien de temps je passai à observer la flore, prélever de minuscules échantillons, ou en tester les vertus. Je m’enfonçai dans la végétation, quittant les sentiers battus, ne me préoccupant nullement de me perdre. Seuls mes échantillons comptaient pour une fois. Régulièrement, les signes me rappelaient à l’ordre, alors je retournais sur les routes, mettant de côté ma passion. Au moins jusqu’à ce qu’autre chose n’attirât mon œil. Mon attention était pour la première fois depuis bien longtemps, des années ou des décennies, portée ailleurs que sur mes signes divins. Sur le moment, je me suis senti coupable de me détourner de mon devoir. Mais l’inconnu des potentiels de cette faune et de cette flore reprenait systématiquement le dessus. Inlassablement, les signes me ramenaient sur le droit chemin. Chaque appel était de plus en plus insistant, presque véhéments. Alors je finis par parvenir à mettre ma passion de côté pour les suivre totalement.

Mon prochain arrêt me mena dans un marais, dans un camp monté sur pilotis pour tenir les habitants à l’abri de l’humidité et des maladies du marais. Le Camp des Sentes Tranquilles. Reprenant mes habitudes après un intermède passionné, je me renseignai sur la région et la forêt, écoutant attentivement les sous-entendus afin de déterminer ma mission ici. En me renseignant, je sentis comme une attraction vers une Antique cité scellée non loin par l’Esprit de la forêt. Ce n’était pas tout à fait la même sensation que lorsque je trouvais la raison de ma venue, mais je savais que c’était lié aux désirs de mes Dieux. Alors je m’approchai des portes closes, dans le marais. L’entrée était naturellement bien gardée mais cela me permis de consolider le sentiment que j’avais concernant cette Cité. Amdapor était la cité d’une ancienne magie désastreuse, interdite à cette époque. Durant une guerre entre cette cité et une autre, qui avait également développé sa propre magie, tout aussi dévastatrice, l’Esprit de la forêt s’était manifesté pour y mettre un terme. L’Esprit de la forêt, qu’ils appelaient la Sylve, fit monter les eaux et inonda une bonne partie du continent, éradiquant les habitants et les combattants à Amdapor. Suite à quoi, elle scella la cité en l’investissant de sa végétation et élevant une barrière végétale tout autour.

La connaissance n’avait jamais été le but de mes signes, alors je cherchai la vraie raison de ma venue ici. Pour cela, j’analysai plus en profondeur le sentiment que cette cité m’apportait. Je pensai qu’il s’agissait d’une mise en garde envers l’Esprit de la forêt. Me balader impunément en dehors des sentiers battus n’était peut-être pas une bonne idée. Ou bien était-ce pour me prévenir d’user prudemment des pouvoirs que les Dieux m’avaient octroyés. Quel qu’en soit la raison, j’avais perçu le danger de Sombrelinceul.

J’avais passé plusieurs jours à proximité des ruines de l’antique Cité sans percevoir d’autres signes que cet avertissement. La faune et la flore avaient pris une toute autre dimension, réveillant à nouveau ma passion. Tout en attendant de trouver la mission que je devais remplir dans ce marais, j’explorais les formations végétales qui scellaient Amdapor. Sans m’aventurer à y pénétrer toutefois. Il y avait quelque chose d’attirant dans cette Cité. Après plusieurs semaines d’errance dans le marais, je me rendis compte que les signes ne s’étaient pas manifestés, qu’il n’y avait pas eu de mission à remplir. Je n’étais pourtant pas perplexe, les Dieux avaient leurs raisons de m’avoir envoyé ici. L’avertissement concernant l’Esprit de la forêt ou l’intérêt que je devais porter à cette Cité me suffisaient pour expliquer les actes des Dieux. Ou bien, cette fois étais-je passé à côté, détourner de mon chemin par ma passion. J’interrogeai alors les Dieux en priant et j’obtins une réponse dès le lendemain. De nouveaux signes me vinrent et je quittai le Marais en direction du Nord. »

Chapitre 4

« Je traversai alors le marais pour m’enfoncer dans la forêt de Sombrelinceul. Si les premiers abords m’avaient impressionné, ce n’était rien en comparaison de ce que je découvrais. Tout restait en immensité et en surdimensionné, mais il y avait bien d’autres choses. Les esprits. Je ne sais pas si c’était ceux de la Sylve contre lesquels les Dieux m’avaient mis en garde, ou d’autres esprits, plus primaires, mais je sentais leur regard me transpercer. La végétation était si présente, je pouvais presque sentir chaque filet d’odeur et le suivre jusqu’à son origine. L’air était chargé des pollens de la flore mais également des muscs de la faune. De nombreux frissons me parcouraient le dos, remontant le long de mon échine, pour me rappeler les dangers potentiels dans cette forêt. A chaque pas, j’étais sur mes gardes, à chaque pas, je m’attendais à voir une bête sauvage se ruer sur moi.

Cela arriva quelques fois. Mais je réussi à assommer les animaux sans avoir à les tuer. Je n’aimais prendre la vie sans raison. D’autant plus sous le regard presque inquisiteur des Esprits de la Forêt. J’arrivai finalement dans un bourg du nom du Moulin de la Carrière. C’était un petit village cerné par une enceinte pour protéger les habitants des animaux. Les braconniers et les brigands étaient nombreux à l’extérieur, mais ne s’aventuraient pas ouvertement en ville. Malgré la position dangereuse du village, les gens semblaient y vivre paisiblement. J’étais impressionné par leur mode de vie dans la Forêt, mais il fallait que je me concentre sur mes signes. Je m’en étais déjà trop détourné depuis que j’étais dans cette Forêt. Je laissai donc mes oreilles trainer et interrogeai les habitants.

Ce ne fut pas les habitants qui me révélèrent ma mission, ce furent des aventuriers de passage. Je les entendis parler de l’entrée d’un sous-terrain ancien et dangereux, un peu plus loin à l’Ouest. Il se racontait que c’était l’entrée d’un labyrinthe ancien, la sortie secrète d’une cité enfouie sous terre durant la Grande Inondation dont j’avais déjà entendu parler. J’avais l’impression que la vie dans la Forêt restait marquée par cette guerre et ses conséquences. La Sylve était vraiment effrayante.

Sans plus attendre je me rendis donc à l’entrée de ce Labyrinthe. Il fallait s’écarter un peu du chemin. Sous la confiance de la mission divine, je m’éloignai du sentier battu en oubliant les dangers de la forêt. J’avais ressenti cette vibration si particulière qui me guidait toujours vers le Mal que je devais détruire. Je découvris un site de fouille à l’écart. Une ouverture béante vers les profondeurs de la terre surveillée par une poignée de scientifique et de garde. Non loin, il y avait plusieurs autres hommes et femmes en armes qui discutaient en prévision d’une descente imminente dans le labyrinthe. Mais je ne m’y intéressai pas. J’avais perçu la volonté des Dieux. De l’ouverture béante sortait une aura de mort, une aura malsaine, une aura du Mal. En m’approchant, je fus arrêté par les gardes qui m’interdirent l’accès. Je tentai de leur expliquer que j’étais l’envoyé du divin pour purger le mal, mais rien n’y faisait. Ils refusèrent de ma laisser descendre. Entendant notre altercation, le petit groupe d’hommes et de femmes à l’écart se mêlèrent à la discussion. Ils prévoyaient une descente, et ils avaient les autorisations nécessaires. Ils n’étaient pas contre une paire de bras en plus pour les aider dans cette expédition.

Ils ne me demandèrent pas grand-chose, visiblement, ils étaient déjà prêts et je ne les dérangerai pas. Et je ne leur posai guère de question non plus. Je n’avais plus que mon objectif en tête. Tous les cinq, nous descendirent par l’échelle en corde dans le labyrinthe. Et ce n’était pas qu’une métaphore. Les murs de pierres étaient tous semblables les uns aux autres, identiques. Les pièces que nous traversâmes étaient toutes identiques, sans aucun signe particulier. Quelqu’un établi un plan, mais je n’en avais pas besoin. Je ressentais, je voyais, le chemin qui me mènerai là où je devais aller. L’endroit grouillait de créature du Mal, mais à nous cinq nous en vînmes rapidement à bout. Ils en arrivaient toujours plus que nous repoussions inlassablement. Combat après combat, notre synergie de groupe s’améliorait. Nous descendions, nous enfonçant dans les profondeurs de la terre. L’aura de Mort pesait un peu plus à chaque pas. Une des jeunes femmes se senti très mal, les autres la soutinrent pour poursuivre. Heureusement, nous étions presque arrivés.

Nous arrivâmes devant une ultime porte. Je savais que c’était la dernière qui m’intéressait. La présence de Mal était partout, prenante, angoissante et malsaine. Nous entendions la créature qui nous attendais. Elle grognait, grinçait des dents et tournait en rond, impatiemment. Un des hommes ouvrit alors la porte, révélant la créature la plus hideuse que je n’avais encore jamais vu. Une sorte d’énorme lézard, couverts d’écailles hérissées et effilées, muni de deux paires de cornes sur la tête et d’un lourd fléau piquant à l’extrémité de la queue. En nous voyant approché, il avait rugi si fort que le sol avait tremblé sous nos pieds. Mais j’étais confiant. La volonté Divine me guidait ici et je n’avais qu’à le détruire. Ce que nous fîmes. Non sans mal.

Une fois le mal détruit, l’aura de Mort se dissipa, je réalisai alors que j’avais conduit mes compagnons inconnus dans une voie sans issue. J’étais désormais incapable de retrouver notre chemin dans ce labyrinthe. Fort heureusement, celui qui s’était attelé à dresser un plan l’avait tenu consciencieusement. Nous retrouvâmes l’échelle et remontâmes à la surface. L’air humide et chargé des odeurs de la forêt parut m’épuiser. Je ressenti soudainement le besoin de me reposer, et je savais que les Dieux n’allaient pas m’envoyer de signes immédiatement. Mon don était épuisé, et il fallait un peu de temps avant de pouvoir m’en servir à nouveau. Alors je me souvins d’Opale. Ils m’avaient raconté qu’ils offraient une soupe aux voyageurs et nécessiteux dans leur demeure. Je ne savais où c’était, mais mes compagnons improvisés m’aidèrent à me renseigner et je pris la direction du Thanalan et ses quartiers résidentiels.

Je n’étais pas mécontent de retrouver le désert, laissant derrière moi cette forêt tellement étouffante. Je profitai du temps dont je disposais pour admirer les paysages. Ul’dah, la capitale du Thanalan était construite sur les ruines d’une ancienne cité. J’en aperçus quelques ruines qui m’attirèrent implacablement. Sans savoir pourquoi, elles me tirèrent un brin de colère et de peine. Je ne m’attardai pas et pris la direction des portes de la capitale. La cité était animée, surpeuplée à mon gout, et pas seulement de gens. Les odeurs, les bruits, les couleurs, tout m’agressait les sens. Je quittai à regret le sable du désert pour marcher sur un sol pavé et surpeuplé. La foule m’étouffait, les bruits me rendaient sourd, les odeurs me donnaient la nausée. Je ne souhaitais pas y rester plus que nécessaire, alors je demandai rapidement mon chemin. Opale avait une adresse officielle et renseignée auprès des autorités. On put m’indiquer le chemin pour rejoindre leur maisonnette. Je traversai la cité puis arrivai dans les quartiers résidentiels, heureusement plus calme, non moins surpeuplés, mais l’air y circulait.

Je trouvai la maison Opale, enfin leur local comme ils l’appelaient, en bordure de ravin. La vue était superbe et me fit oublier un instant le désordre de la Cité. Il y avait plusieurs personnes, et je reconnu ceux d’Opale parmi eux. Le Raen était facilement identifiable, même s’il était discret. Les deux autres me sourirent, surpris de me voir ici et nous discutâmes autour d’un bol de soupe. Ils me parlèrent de mon don, de ma réputation, m’interrogèrent sur mes origines à nouveaux, sur mes signes également. Mais surtout, ils me révélèrent les conséquences de l’utilisation de mon don que je traînais derrière moi. Des désastres. Effondrement de terrain, éboulement dans un tunnel, incendie dans une mine, orage hyper localisé et j’en passe. Bien sûr je n’étais pas au courant, je ne les crus pas sur le moment. Mais leurs arguments se valaient et je consentais à me faire examiner par les occultistes, ces mages spécialisés, à Ul’dah. »

Pakhemetnou soupira à ce souvenir particulier. Il serrait ses mains, pris par son récit et tous ce que cela impliquait. Il leva les yeux sur son compagnon, l’air grave.

— C’est là que tout à commencer à changer. Que tout à dérailler.